Dans le cadre de la sortie du Guide de l’Hospitalité Vigneronne – édition 2022, je vous propose de découvrir la version longue de mon entretien réalisé avec Patrice Legrand, vigneron géologue du Champagne Legrand-Latour.
Huit entretiens parcourent cette nouvelle édition afin d’approfondir, sous forme de questions – réponses, des sujets variés liés au vin et à l’hospitalité. L’idée est ainsi de donner la parole aux vignerons afin qu’ils puissent partager dans leur langage : leurs connaissances, leurs convictions, leurs parcours, leurs ambitions…

Patrice, vous avez creusé des cavités dans la roche et trouvé de nombreux fossiles témoignant d’une époque où la Champagne était recouverte par la mer. Comment vous est venue l’idée de créer cette cave aux coquillages ?
Viticulteur de métier, mes loisirs ont toujours été la recherche de fossiles. C’est venu quand j’étais enfant, en ramassant les cailloux dans les vignes. J’ai commencé une petite collection de fossiles, puis ce désir de découverte m’a conduit à faire certains sites fossilifères, dont celui de Fleury-la-Rivière, ici en Vallée de la Marne.
C’était proche de chez moi et je suis venu régulièrement faire des recherches. On voyait des couches spectaculaires et riches en fossiles alors on s’est dit qu’il faudrait trouver un lieu où l’on puisse présenter les fossiles en les laissant en place, dans leur contexte, c’est-à-dire dans la roche.
Vous avez alors acheté une cave et creusé ?
On a acheté une bâtisse avec un premier départ de cave. Puis une deuxième maison a été mise en vente avec un second départ de cave. Au départ on voulait faire un petit truc pour nous et les copains puis quand on a vu qu’on pouvait avoir une deuxième cave, on a pensé à une ouverture au public. L’idée était de relier les deux caves en creusant tout un réseau de galeries pour aménager un circuit de visite.
Anne, vous vous êtes prise au jeu de la chasse aux fossiles ?
Et bien oui, par la force des choses ! Nos vacances étaient toujours tournées vers les endroits où il y avait des fossiles, ça ne me dérangeait pas. Et puis un jour, il a vu que ces bâtiments étaient en vente, avec un départ de cave et il a acheté ça. Je lui ai dit « Écoute Patrice, non, je veux bien que tu cherches des fossiles mais enfin acheter une maison et des caves à 15 km de chez moi, ça ne m’intéresse pas ! ». Il m’a répondu « si, si, j’achète. ».
Patrice, vous avez creusé seul ?
Avec Thibaut, mon fils. Maintenant il est pris par la vigne. Au départ, le projet était purement géologique et depuis quelques années, il est aussi devenu viticole. Quand Thibaut a commencé à faire ses vins, il voulait travailler dans ces caves car il y avait de très bonnes conditions. Alors, il m’a fait creuser un réseau de caves dédié au vin, qui complète bien la visite.
J’essaie de vous imaginer en train de creuser, comment ça se passe concrètement ? Quels outils utilisez-vous ?
Oh et bien tout a été creusé au marteau piqueur électrique en détachant par bloc. Le coquillage étant plus dur que la roche, la roche se détache au niveau du fossile et après ça on peut travailler plus finement le coquillage en extrayant le bloc. La roche est tendre, correspond à du tuffeau mais plus sableuse que dans la Loire donc moins propice aux constructions.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour mettre au point le projet ?
L’achat de la première maison s’est fait en 1993, la seconde en 1995, le temps d’obtenir les autorisations, on a mis le premier coup de pioche en 1997. Première ouverture officielle au public 2011.
Presque 20 ans au total, un sacré travail ! Qu’est-ce qu’on trouve dans ces galeries ?
Au départ, on fait une présentation générale pour positionner la période géologique qui nous intéresse. Ensuite on montre les différents types de fossiles, des reconstitutions de milieux de vie marins, des ateliers qui reprennent les différentes étapes de recherche de fossiles et enfin cette plage de coquillages.
On propose aussi différents stages de découverte, à partir de 5 ans, des formules qui vont de 30min à la journée complète et on vend des kits du paléontologue avec un bloc contenant un fossile à extraire soi-même.
La visite se termine avec une partie dédiée au vin.
Pouvez-vous justement nous parler un peu de l’histoire du domaine viticole ?
Mon grand-père a commencé à cultiver un peu la vigne mais c’est surtout mon père qui a développé la partie viticole. Il était longtemps coopérateur, puis récoltant manipulant pendant une dizaine d’années.
Lorsque ma sœur et moi avons repris au début des années 90, on a scindé le vignoble en deux et chacun s’est agrandi. Je suis passé de 2,5 hectares à 4 hectares. A cette période, il fallait investir dans du matériel de vinification mais nous avions aussi le projet de la cave aux coquillages, qui demandait des financements. Nous avons préféré rejoindre la coopérative car nous ne pouvions pas faire les deux.
Aujourd’hui, c’est votre fils Thibaut qui reprend l’activité. Quels sont les changements qui accompagnent cette transmission ?
Thibaut a repris la partie vigne et vin qui l’intéressait beaucoup, ce qui me permet de me consacrer aux fossiles. A la vendange 2016, il a quitté la coopérative parce qu’il a changé de méthodes de culture pour passer en biodynamie. La coopérative ne convenait pas donc il est passé récoltant manipulant.
En plus, il fait ses cuvées en fonction des couches géologiques. Il essaye de rassembler les différentes parcelles par période et par matériau (calcaire, argileux, sableux…). Sur la dégustation, ça va être intéressant, d’autant qu’on est en contact avec quelqu’un qui travaille justement sur la minéralité du sol et qui nous accompagne dans cette nouvelle approche.
Vous aviez vous-même rejoint la coopérative en 90 pour vous dégager du temps et créer la cave aux coquillages, avec l’aide de Thibaut. Aujourd’hui, cette sensibilité à la géologie que vous lui avez transmise inspire directement ses vins. C’est une belle histoire !
Propos recueillis le 4 août 2021